GÉNIE TECHNIQUE HORLOGER
Inventeur du plus petit mouvement mécanique au monde, créateur de la première montre bracelet pour homme, à l’origine des premières montres bracelets extra-plates, à l’origine avec Edmond Jaeger des premiers compteurs pour l’aviation et l’automobile.
PDG des établissements Jaeger et collaborateur d’Edmond Jaeger
Directeur-administrateur des Ets Jaeger puis président d’administration de Jaeger-LeCoultre en 1946
Directeur technique de Jaeger puis Jaeger-LeCoultre
À l’origine de plus de cinq cents brevets
Chevalier de la Légion d’honneur
Henri Rodanet est digne des plus grandes « success stories » horlogères. Orphelin de père et de mère à 8 ans, Henri Rodanet étudie à l’École d’Horlogerie de Paris fondée par son oncle Auguste H. Rodanet. Il sort premier de sa promotion avec les félicitations du président de la République Emile Loubet.
En 1902, tout juste âgé de dix-huit ans, le jeune prodige devient le collaborateur du français Edmond Jaeger (1858-1922), dont l’établissement ne compte alors que cinq personnes.
Déjà à cette époque, Henri Rodanet se fait remarquer par ses dons exceptionnels en obtenant de nombreux brevets et ne tarde pas à prendre la direction technique de l’entreprise pour s’occuper de toutes les questions relatives à la création de nouveaux produits.
La conjugaison des deux talents, Edmond Jaeger et Henri Rodanet scelle le destin de l’entreprise en la conduisant au sommet. Tournés vers l’avenir, ils réussissent à créer des garde-temps d’esthétisme intemporel complétés de fonctionnalités innovantes et pratiques mais également à contribuer au succès de plusieurs maisons horlogères. Leur objet de prédilection se porte sur la montre extra plate.
En 1907, Cartier et Jaeger concluent un accord d’exclusivité à long terme pour l’approvisionnement en horlogerie de Cartier. Promptement, le directeur technique Henri Rodanet coopère avec le joaillier Louis Cartier pour réaliser une collection de montres bracelets extra-plates à une époque où les hommes portent encore des montres de poche, une révolution à laquelle s’ajoute des exigences de formes variées de cadrans restés circulaires depuis des siècles. Cette difficulté implique de créer des mouvements fiables et extra-plats adaptés à la forme de ces cadrans. Henri s’attelle à cette tâche avec acharnement et parvient à réaliser cet exploit.
Lors de la conférence d’Henri Rodanet au Conservatoire National des Arts et Métiers en 1949, il indique : « Les hasards de la vie m’ont fait collaborer avec Louis Cartier, l’animateur indiscutable de cette révolution dans l’art de présenter l’heure, qui commença en 1904. » En effet, le créateur Henri Rodanet est à l’origine de la toute première montre-bracelet pour homme : la Santos de Cartier. Un dessin de 1908 paraphé « HR » vient illustrer cette création. D’autres créations suivront comme la Tank et ses diverses variantes, la montre Tortue, la montre Cloche … des modèles qui rencontrent un tel succès qu’ils seront portés par de nombreuses personnalités.
Edmond Jaeger réalise la montre de poche la plus plate au monde en 1903, le Calibre 145 qui est aujourd’hui encore le plus plat du monde dans sa catégorie. En 1910, Edmond Jaeger reprend sa création initiale en la transformant en une montre-pendentif.
Le développement des montres de bord pour l’automobile et l’aviation (compteurs Jaeger, tachymètres…) et le développement des toutes premières montres bracelets extra-plates dédiées à la maison Cartier permettent un essor considérable de la maison Jaeger avec son implantation à l’international.
Pendant la Première Guerre mondiale alors qu’il est au front à Ypres, Henri réalise au nom des Ets Jaeger un tachymètre spécial à la demande des forces aériennes britanniques. Son rôle primordial est de contrôler le nombre de tours du moteur pour éviter la surconsommation du carburant ou la panne du moteur. Henri innove par l’installation d’un bureau d’études unique en son genre et développe à un degré élevé les services de métrologie. En 1919, le journal La Presse annonce « un succès foudroyant » des compteurs Jaeger après avoir subi des épreuves de contrôle extrêmement sévères auprès des services techniques français et alliés. Tous les aviateurs soucieux de leur sécurité ont exigé sur leurs avions le compteur Jaeger.
En 1921, le classement officiel du Grand Prix du Mans indique que les neuf premières voitures avaient toutes des compteurs Jaeger.
Compteur Jaeger sur une Aston Martin
1 : En 1880, Edmond Jaeger fonde son atelier à Paris. Il s’établit 75, rue Saint-Sauveur.
2 : En 1907, la société Jaeger s’agrandit pour s’établir 103, rue Réaumur à la suite d’un contrat d’exclusivité sur quatorze ans signé avec Louis Cartier. A cette adresse sont dessinées, créées et fabriquées les toutes premières montres-bracelets.
3 : En 1917, Jaeger s’agrandit à nouveau pour s’installer 33, rue du Louvre, siège social dédié aux instruments de bords pour l’aviation et l’automobile Jaeger. L’usine de Levallois Jaeger située 2, rue Baudin est fondée en 1919, date à partir de laquelle Jaeger s’étend à l’international, à New-York (Jaeger Watch Company, et European Watch & Clock), puis en 1920 à Londres (Bristish Jaeger Instruments).
La montre Tortue est à l’origine destinée aux femmes dès 1912. Ce modèle évoluera à partir de 1927 avec des complications, comme la Tortue chronographe monopoussoir et la Tortue à répétition des minutes. Un défi de miniaturisation pour ces montres extra-plates.
Le chronographe monopoussoir permet à la fois les fonctions de démarrage, d’arrêt et de remise à zéro via uniquement la couronne de remontoir. Quant à la répétition des minutes, il s’agit d’une complication extrêmement complexe. Ces modèles d’époque ont eu une production très limitée.
Montre astronomique squelette à grande complication Jaeger conçue par Henri Rodanet en 1928. Il la réalise en deux exemplaires : une pour Louis Cartier et une autre pour lui-même. Tout un symbole, cette montre représente les liens étroits entre les établissements Jaeger, Henri Rodanet et Louis Cartier.
Le Calibre 101
Henri Rodanet poursuit ses créations et continue d’innover pour l’entreprise Jaeger en développant la célèbre montre Duoplan. Ce mouvement à la conception ingénieuse sera perfectionné en 1929 pour devenir le Calibre 101, le plus petit mouvement mécanique au monde. Une invention majeure dans toute l’histoire de l’horlogerie puisqu’elle réalise une double prouesse : technique, en prouvant que précision et petitesse n’enlève rien à la fiabilité, et à l’esthétisme en affranchissant les garde-temps de la forme ronde classique et présentés dans le style Art Déco. Le Calibre 101 est révolutionnaire par sa taille et son poids d’à peine un gramme, et marque l’aboutissement de la miniaturisation de montres. Ce bijou de microtechnique eut le privilège d’être porté par la reine Elisabeth II d’Angleterre à son couronnement en 1953.
Duoplan coulissante pour la Maison Hermès vers 1930
Également, Henri Rodanet crée en 1931 la légendaire Reverso en collaboration avec l’ingénieur français René-Alfred Chauvot. Le mécanisme de retournement breveté à Paris le 4 mars 1931 (n°712868) par Chauvot est un accessoire qui permet de faire glisser puis retourner le boîtier de la montre de sorte à protéger son cadran.
Premier modèle de la Reverso
Ce système accessoire permet de protéger le cadran mais il reste crucial que le mouvement demeure intact en cas de choc. Par ses connaissances des montres extra-plates, l’ingénieur horloger Henri Rodanet sait intégrer un calibre précis suffisamment plat et résistant aux chocs pour limiter les vibrations du mécanisme dans cette forme rectangulaire. Son goût de l’esthétisme apporté au boîtier dans un style Art déco rend cette montre intemporelle. La Maison Jaeger commença la première à commercialiser des Reverso. Quatre mois après le dépot du brevet et possédant les droits sur son invention, Chauvot s’adresse à la manufacture LeCoultre pour signer un contrat le 25 juillet 1931. Ne possédant ni de calibre assez plat, ni de boîtier, LeCoultre fait appel à deux sous-traitants suisses (Wenger et Tavannes Watch) afin de réaliser cette montre.
Henri Rodanet améliore techniquement l’iconique pendule à mouvement perpétuel Atmos permettant ainsi sa production en série. Elle connaît un immense prestige auprès des chefs d’État, souverains et autres personnalités du monde de la culture.
La maison Jaeger devient une entreprise franco-suisse en 1937 par la fusion avec la manufacture LeCoultre. Henri Rodanet est le directeur technique de Jaeger-LeCoultre et sera à l’origine de nombreuses autres innovations et créations emblématiques comme la pendule mystérieuse Comète, la montre mystérieuse Galaxy, la Mark XI, la Mémovox, la Powermatic, la Futurematic …
Lors d’une interview donnée en octobre 1938 au Journal Suisse de l’Horlogerie (JSH), Gustave Delage confiait au moment de l’Exposition de Paris en 1937 que le département d’horlogerie fine de Jaeger remportait la plus haute récompense de sa classe et que cette distinction revenait pour une grande part aux initiatives de son directeur Henri Rodanet « Technicien de grande valeur, artiste autant qu’inventeur, Président de la Chambre syndicale d’horlogerie de Paris… aujourd’hui la figure la plus marquante de l’horlogerie française ».
M. Delage a également insisté « sur l’admirable esprit d’entreprise qui a jadis convaincu M. LeCoultre (Jacques-David) d’accepter les propositions de Jaeger. Il comprit qu’en restant isolé au Sentier, il risquait de limiter le développement de son usine. » En effet, la réussite de LeCoultre est en grande partie liée au dynamisme des établissements Jaeger à Paris qui absorbent les trois quart de la production de LeCoultre & Cie durant l’entre-deux-guerre.
Henri Rodanet, Président de la Chambre syndicale d’horlogerie de Paris reprend en 1939 la publication de la Revue chronométrique interrompue par la guerre en 1914. Elle est la plus ancienne revue d’horlogerie, fondée à Paris par Claudius Saunier en 1855.
Les premières montres-bracelets ont vu le jour à Paris. « Une véritable révolution dans l’art de présenter l’heure » fait référence à la transition des montres de poche aux montres-bracelets au tout début du XXe siècle, notamment grâce aux créations d’Henri Rodanet des établissements Jaeger pour la Maison Cartier, à commencer par la Santos.
Durant la Seconde Guerre mondiale, l’ingénieur Henri Rodanet sauve Jaeger-LeCoultre en organisant l’évacuation du personnel, de son matériel de production et de ses marchandises de valeur sous peine que les allemands s’accaparent l’entreprise. L’exode s’étend sur dix-huit jours où s’entremêlent affolements, paniques et déboires liés aux nombreux bombardements à Paris et à Orléans. Le journal de ces journées noires écrit par Henri Rodanet est retranscrit dans le livre H. Rodanet, L’Histoire Exceptionnelle d’une Dynastie Horlogère et Jaeger. L’École d’Horlogerie de Paris.
En avril 1946, Henri Rodanet est nommé président du conseil d’administration de l’entreprise.
De gauche à droite: M. Peters, le directeur technique de l’école d’horlogerie Peters de Washington, Henri Rodanet, directeur technique de Jaeger-LeCoultre, J.V.P. Heinmueller, Président de Longines-Wittnauer Watch Company in USA, C.G Smith, instructeur en chronométrie à l’école Peters. Juin 1950.
L’année de son décès, Henri Rodanet rend un dernier hommage à Edmond Jaeger par la création d’une montre bracelet inspirée de la montre pendentif brevetée en 1910 par Edmond Jaeger. Montre réalisée au travers de l’European Watch and Clock (union prestigieuse des établissements Jaeger et Cartier depuis 1919).
Sans conteste et comme le souligne l’un des responsables patrimoine Jaeger-LeCoultre : « Henri Rodanet a joué un rôle central au cœur de notre histoire ».