Edmond Jaeger (1858-1922)
Henri Rodanet (1884-1956)

Edmond Jaeger, grand horloger et fournisseur de la marine de l’Etat, installe son atelier à Paris en 1880. Il construit des montres de bord pour la marine puis des compteurs pour l’aviation et l’automobile tout en s’occupant d’horlogerie fine. La conjugaison des deux talents, Edmond Jaeger et son directeur technique Henri Rodanet scelle le destin de l’entreprise Jaeger en la conduisant au sommet. 

Leur objet de prédilection se porte sur la montre extra plate. D’un côté, Edmond Jaeger réalise la montre de poche la plus plate au monde en 1903, le Calibre 145 qui est aujourd’hui encore le plus plat du monde dans sa catégorie. De son côté, Henri Rodanet réalise la première montre bracelet extra plate en 1908 destinée à la Maison joaillière Cartier, la montre Santos. Ce modèle est le point de départ de toute une collection de montres pour Cartier. 

En 1909, Edmond Jaeger participe à la création des premières montres bracelets en déposant le brevet d’un système de fermeture de bracelet à boucle déployante

Brevet d'Edmond Jaeger - Boucle déployante

En 1911, Edmond Jaeger dépose le brevet d’un « système de boîtier hermétique pour montres ». A cette date, et bien avant la célèbre marque Rolex ayant commercialisé la montre Oyster en 1926, Edmond Jaeger est le premier à créer des boîtiers étanches de toutes formes pour des montres bracelets.  

Brevet d'Edmond Jaeger - Boîtier hermétique pour montres

A partir de 1915, Edmond Jaeger dépose plusieurs brevets de compteurs de vitesse jusqu’à son décès en 1922.

Brevet d'Edmond Jaeger - Calculateur de vitesse moyenne (1919)

Henri Rodanet appliquera aussi son savoir-faire exceptionnel en matière de précision et de miniaturisation pour développer les montres de bord Jaeger dans l’aviation puis dans l’automobile.

Pendant la Première Guerre mondiale alors qu’il est au front à Ypres, Henri réalise au nom des Ets Jaeger un tachymètre spécial à la demande des forces aériennes britanniques. Son rôle primordial est de contrôler le nombre de tours du moteur pour éviter la surconsommation du carburant ou la panne du moteur. 

Henri Rodanet innove par l’installation d’un bureau d’études unique en son genre et développe à un degré élevé les services de métrologie. La production en série passe par des études, des prototypes, des essais afin d’obtenir un produit fiable à meilleur coût.

Un des tout premiers tachymètres
Avion biplan SPAD VII
Journal La Patrie - 15 octobre 1919

En 1917, l’armée britannique installe le tachymètre d’Henri Rodanet sur le biplan SPAD VII. Les anglais ont récupéré la licence de cet avion français performant pour le construire sur le sol britannique. Le tachymètre d’Henri se retrouve également sur des avions comme le Blériot, le Nieuport-Delage, le Voisin 10, le Farman

Durant la guerre, 100.000 appareils de bord ont été fournis aux aviateurs français et alliés.

Voici pourquoi les compteurs Jaeger sont si renommés :

1 – Précision horlogère

L’entreprise Jaeger a transposé sa haute expertise horlogère dans la construction d’instruments de bord pour l’aviation et l’automobile en dépit des secousses les plus violentes ce qui les rendait extrêmement fiables et précis. Depuis la Première Guerre mondiale, et durant plusieurs décennies les divisions « Jaeger Aviation » et « Jaeger Automobile » ont produit et commercialisé toutes sortes de compteurs d’excellence.

2 – Partenariats avec des marques emblématiques 

L’entreprise Jaeger a travaillé avec des marques internationales de prestige comme Bugatti, Bentley, Rolls-Royce, Aston Martin, Lamborghini et Ferrari, renforçant ainsi sa notoriété. A partir des années 1920 et 1930, les instruments de bord Jaeger équipaient les voitures de course les plus prestigieuses, ce qui a renforcé leur image de qualité et de luxe. Les compteurs Jaeger ont aussi équipé les voitures comme Panhard et Levassor, Delaunay-Belleville, Delage, Citroën, Renault, Hispano-Suiza, Fiat, Alfa Romeo, Rover, Austin, Sunbeam, Singer, Vauxhall, motos Guzzi, Triumph

Panhard et Levassor

Dans le domaine aéronautique, Jaeger a équipé de nombreux avions biplans comme le Blériot, le Nieuport Delage, le SPAD VII … cet héritage technique a permis des installations effectuées jusque dans les années 1980 à Airbus, Mercure, et le légendaire avion supersonique Concorde

A partir de 1919 et afin de satisfaire la demande en instruments de bord, les établissements parisiens Jaeger se déploient rapidement à l’international pour construire des manufactures Jaeger à Londres, à New-York et à Genève.

Manufacture Jaeger à Londres

En 1927, la société Smith & Sons (actuellement Smiths Group) rachète 75% des parts de British Jaeger Company, qui devient la British Jaeger Instrument Ltd en 1931. Elle fournit les marques automobiles italiennes telles que Ferrari, Fiat et Alfa Romeo. Jusque dans les années 1990, les cadrans de ces instruments possèdent soit le logo Jaeger, soit celui de Smiths. 

L’intérêt d’être installé à Londres et à New-York, permet d’atteindre une plus grande clientèle : Australie, Afrique du Sud, Inde… puisque les compteurs de vitesse peuvent fonctionner en miles.

3 – Durabilité et robustesse

Les instruments de bord Jaeger sont connus pour leur robustesse et leur longévité. Ils étaient capables de résister à des conditions extrêmes, particulièrement dans le domaine aéronautique et militaire. Cette capacité à maintenir une haute performance même dans des environnements exigeants a consolidé leur réputation. 

En 1919, le journal La Presse annonce « un succès foudroyant » des compteurs Jaeger après avoir subi des épreuves de contrôle extrêmement sévères auprès des services techniques français et alliés. 

Compteurs Jaeger au salon de l'automobile en 1923
Très sport - 01/06/1926

En 1926, le journal Très sport souligne entre autres, les avantages des compteurs de vitesse Jaeger : « précision, invariabilité absolue du réglage, insensibilité aux variations de température et de pression, stabilité de l’aiguille. »

4 – Design élégant et ergonomie

Outre leur performance technique, les compteurs Jaeger se distinguent également par leur design à l’élégance typiquement française. Leur esthétique simple mais sophistiquée s’harmonise bien avec les tableaux de bord des voitures de luxe avec des matériaux comme le chrome poli ou l’aluminium brossé. Pour l’aviation, le marquage des compteurs est fluorescent. De plus, la lisibilité des instruments était souvent un point important surtout la nuit. 

Tableau de bord - Bugatti
Tableau de bord - Lamborghini

5 – Innovation technique

L’entreprise Jaeger a été une pionnière dans de nombreuses innovations.

Elle a su diversifier ses produits en développant non seulement des indicateurs de vitesse, des compteurs kilométriques et des tachymètres, mais aussi une large gamme d’autres appareils, tels que des thermomètres pour l’eau et l’huile, des manomètres pour la pression, des jauges d’huile et de carburant, des horloges embarquées, des voltmètres, des ampèremètres, des anémomètres, des odomètres, et bien plus encore.

Parmi ses créations emblématiques figure en 1930 la montre de bord Chronoflite, choisie par la Royal Air Force britannique. Ses caractéristiques sont décrites en détail par M. Richard Chavigny, ingénieur civil de l’aéronautique et ancien secrétaire de l’Association nationale des collectionneurs et amateurs d’horlogerie anciennes, dans le livre H. Rodanet, L’Histoire Exceptionnelle d’une Dynastie Horlogère et Jaeger. L’École d’Horlogerie de Paris. Ce même ouvrage raconte également l’histoire du pilotage automatique Jaeger, relatée par M. Chavigny.

Chronoflite Jaeger

L’entreprise Jaeger ne s’arrête pas seulement à la construction de compteurs mais elle conçoit aussi toutes sortes de perfectionnements pour l’automobile et l’aviation à partir de systèmes soit mécaniques, soit électriques ou même encore magnétiques.

C’est ainsi que les établissements Jaeger développe l’assistance à la conduite d’un avion avec un système complexe de pilotage automatique, une amélioration des performances aérodynamiques (hélices), des améliorations d’appareils de sécurité, et des améliorations électriques (éclairages anti-éblouissement des instruments de bord, connecteurs, commutateurs, interrupteurs…). 

Sélection de quelques brevets d’Henri Rodanet :

Brevet d'Henri Rodanet - Compteur kilométriques
Brevet d'Henri Rodanet - Indicateur de vitesse
Brevet d'Henri Rodanet - Indicateur de position de roues d'atterissage
Brevet d'Henri Rodanet - Amélioration des hélices
Brevet d'Henri Rodanet - Gyroscope

Suite à une visite au stand du salon de l’aviation en 1938, Louis Renault demande aux établissements Jaeger une description complète du système de pilotage automatique Jaeger installé sur des avions de l’armée de l’air. 

Les avantages qu’offre l’emploi des dispositifs de pilotage automatique sont : 

  • L’amélioration du rendement par un pilotage précis et une navigation plus facile.
  • L’augmentation du confort par la réduction des accélérations.
  • L’augmentation de la sécurité par la suppression du pilotage sans visibilité et la diminution de la fatigue des équipages. 

Cette recherche constante de nouvelles technologies a contribué à leur position dominante sur le marché des instruments de précision.

6 – Héritage et collection

Aujourd’hui, les instruments Jaeger sont devenus des objets de collection très prisés, notamment pour les amateurs de voitures anciennes et de montres de luxe. Leur association avec des véhicules mythiques, et leur qualité intemporelle en font des pièces recherchées.

En résumé, les instruments de bord Jaeger sont renommés pour leur excellence en matière de précision, d’esthétisme, et de fiabilité. Ils sont devenus une référence incontournable dans l’univers automobile et aéronautique, tout en étant associés à un héritage de luxe et d’innovation.